L’oculométrie ou Eye-tracking est une technologie qui permet d’observer avec précision le travail de l’œil lorsque l’on observe une image. D’abord utilisé en lecture et en publicité on l’utilise maintenant pour analyser le déchiffrage des œuvres d’art. Et ça fait bouger les lignes, c’est le cas de le dire !
L’oculométrie
Ces appareils sont des dispositifs qui observent les déplacements de l’œil.
Plus précisément d’une zone spécifique de l’œil : la fovéa, la partie qui « voit net ». Cette zone, de quelques mm mieux pourvue en nerf que le reste de la rétine permet seule une vision précise. La zone vue avec précision à 1m fait quelques cm (un cercle d’un peu moins de 10cm). Il faut environ 1/10ème de seconde pour capter cette zone qui doit être stable. Mais très vite (1/2 sec maximum) cette perception est saturée et le cerveau commande à l’œil un déplacement vers une autre zone. Pendant ce déplacement (de l’ordre de quelques millisecondes) l’œil est aveugle.
Ce n’est que très récemment (vers 2020) que ce matériel est utilisé pour des recherches dans le domaine artistique. A l’origine ce sont des outils de marketing et d’e-learning. Les chercheurs n’en sont qu’aux prémices de ce travail qui est très long et demande beaucoup de ressources humaines et informatiques pour effectuer les mesures et les traitements avant analyse. Le chercheur actuellement le plus reconnu est Raphaël Rosenberg (Université de Vienne) et en France Nathalie Delbard (Université de Lille). J’essaie ici de vulgariser leurs remarquables travaux.
On distingue 2 phases :
La phase dite de « pré-attention » l’œil se pose généralement près du centre de l’image ou sur un visage ou une zone claire /contrastée à proximité. Le point fort que vous souhaitez mettre en valeur ne captera pas nécessairement le regard du premier coup … C’est une phase complètement inconsciente.
La phase de vision, les micro mouvements. Dans un second temps l’œil suit des trajets variés. Il effectue un travail par saccades « désordonnées ». Il est aveugle pendant le trajet de la saccade : on ne voit donc net que des points de l’image chaque « arrêt » dure entre 1/4 et 1/2 sec. Ces cheminements dépendent à la fois de critères « techniques » (contraste/netteté, forme, lumière, couleur) et de critères émotionnels (construction de sens, le vivant, les visages, vécu personnel, humeur, etc.). Suivant votre état physique et mental vous ne verrez pas la même œuvre deux fois de la même façon. La persistance rétinienne nous permet de « lier » les points réellement vus.
Il semble que les critères techniques (cartes de saillance des couleurs, contrastes ou hautes lumières) ne soient pas forcément toujours pertinents et premiers par rapport aux critères émotionnels. Une zone claire ou contrastée n’attirera pas plus le regard qu’un visage même situé dans la pénombre en périphérie de l’image.
Le nombre d’or
C’est une proportion mathématique = soit environ 1,618 (c’est un nombre irrationnel). Un rectangle qui a ces proportions possède des particularités spécifiques que vous trouverez sur internet ou en regardant l’image ci-dessous (prise sur internet). Les mathématiciens le lient aussi à la suite et à la spirale de Fibonacci
Il est vrai que de nombreux artistes et architectes semblent avoir utilisé le nombre d’or dans la construction de leurs œuvres mais ce n’est pas une vérité absolue par où il faudrait passer pour réaliser un acte graphique !
Il existe de nombreux exemples d’usages (façade du Parthénon, Pyramides, certaines œuvres de Léonard de Vinci, Botticelli, Mondrian ou Salvador Dali, … Mais d’autres non !
Pareil dans la nature : s’il existe des exemples (marguerites, tournesol, escargot, etc.). Il y a aussi de nombreux contrexemples.
Les recherches actuelles en oculométrie ne semblent pas montrer particulièrement que l’œil se pose d’emblée sur un point fort ou qu’il suit un trajet s’inspirant de la spirale de Fibonacci.
Donc, pas de sectarisme.
Et en photo ?
Le cadre : Pas de chance, le capteur d’un appareil photo ne respecte pas les proportions du nombre d’or. Rapport : 1,5 pour un 24×36 au lieu de 1,618 ? Il aurait fallu fabriquer un capteur de 24×38,8 mm ou de 36×22,24mm ! C’est 1.33 pour un capteur 4/3 … Les écrans : 16×9 (rapport 1,77) ne correspondent pas non plus. Les rectangles des capteurs comme des moniteurs ne sont donc pas des rectangles d’or.
La règle des tiers
La proportion d’un tiers c’est 1,33 pas 1,618 … dans un cadre qui en plus n’est pas un rectangle d’or, on voit que l’on navigue d’approximations en approximations. Alors, pourquoi cette « règle ».
En fait ce n’est pas une règle, mais une indication pédagogique : il vaut mieux éviter de centrer le sujet, l’horizon, etc. Le fait de décentrer devrait créer un déséquilibre, une tension graphique qui peut augmenter le temps de présence du regard sur l’image. Le binôme œil/cerveau se lassera moins vite. A vous ensuite d’essayer de faire « ricocher » le regard du spectateur au moyen de lignes (ou de directions plus ou moins suggérées), d’objets, de lumières, d’ombres, de points d’intérêt. Mais on constate que même avec des œuvres reconnues le trajet de l’œil n’est pas forcément celui voulu par l’artiste … Il arrive fréquemment que des zones entières de l’image ne soient pas « vues ».
Alors, le concept à éviter pourrait être celui de distraction, d’accumulation, de dispersion du regard, causes de désintérêt. La mode actuelle aux compositions minimalistes s’expliquerait peut-être ainsi. Cependant, la profusion, si elle est bien organisée peut au contraire capter le regard. On le constate dans de nombreuses œuvres graphiques …
En pratique
Comme on le voit, il n’y a pas de recette pour construire un cliché, même si certains dans les revues et livres « spécialisés » s’emploient à en donner. En fait construire un « académisme » de l’image c’est juste donner aujourd’hui comme norme le goût d’hier. Personne ne peut dire ce que sera celui de demain. Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi, les grandes œuvres d’art sont toujours pensées, réfléchies, construites !
De toute manière, placer sa réflexion personnelle et ses choix dans un contexte solide est très important. C’est une constante pour tous les artistes reconnus : ils ont une excellente culture dans leur domaine. Connaître et étudier les œuvres de nombreux artistes visuels permet aussi de progresser dans son cheminement. Et c’est plaisant !
Pour les spécialistes, quand vous regardez une image il faut au moins 1mn à 1mn30 pour la « voir » vraiment, sinon c’est du « zapping ». Donc, dans un musée ou une expos photo, avec un livre ou une revue mieux vaudrait regarder moins d’œuvres mais plus longuement. Pour avoir essayé, effectivement au bout d’un moment on découvre des éléments qui échappent au simple coup d’œil.
Conclusion
D’évidence il n’y a pas de recette pour construire une œuvre d’art, encore moins pour qu’elle soit reconnue dans le temps long. Les explications, les analyses viennent forcément à posteriori et évoluent avec le temps (jugements sur les non finis de Michel-Ange par exemple). Si elles sont tout à fait dignes d’intérêt et indispensables sur le plan culturel, elles ne sont pas pertinentes pour construire un système en anticipation.
S’exprimer de manière personnelle et sincère, sans soumission, à priori, aux règles et à l’académisme, est la seule « règle » à adopter. N’essayez pas, à priori, de faire plaisir aux autres suivez votre parcours.